Photo de Toulouse

Majoral

Georgette MAJORAL

Nous rencontrons Georgette Majoral dans ces jours où elle a le projet de réaliser le catalogue de ses œuvres. Elle nous reçoit dans son atelier et, comme dans un défilé de mode, les tableaux se succèdent et vont s'installer sur la terrasse pour la séance de photographies. Il fait beau en ce début d'après-midi, la terrasse est au nord, la lumière est idéale.
Dès le début de notre entretien, les souvenirs affluent : le Toit d'or de la Maria-Theresien-Strasse à Innsbruck, la neige omniprésente, les après-midis de ski, les fêtes de villages et leurs fanfares, le violon paternel ... On est impressionné par la persistance et l'intensité de la mémoire de l'enfance qui constitue une source importante du travail présenté aujourd'hui, de façon explicite dans les commentaires de l'artiste - l'usage de l'or - et peut-être de façon insoupçonnée et inattendue, dans le recours fréquent à la géométrisation des formes ...


Jean-Jacques: La première question que je voudrais te poser c’est : comment c’est arrivé la peinture pour toi ?

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Georgette : Le besoin de peindre m’est venu durant mon enfance. J'ai vécu dans un pays, le Tyrol autrichien, réputé pour ses stations de ski, ses églises baroques, ses palais et son folklore. L’hiver est assez long dans ce pays, il commence en octobre et finit subitement au mois de mai ; après la fonte de la neige, c’est l’explosion des fleurs, de la verdure en montagne. Durant ces longues soirées d'hiver, je dessinais. Je n’avais que mes crayons de couleur que m’achetaient mes parents et mes cahiers d’écolière. Je dessinais ce que le Tyrol m’offrait, par exemple son folklore. Mes parents m’emmenaient durant l’été chaque dimanche dans une fête de village, dans des vallées différentes avec des folklores très particuliers à chaque vallée. J'adorais voir, les costumes tyroliens, les danses, les sauts, écouter les fanfares C'était pour moi des fêtes merveilleuses dans un pays magnifique. J’admirais les maisons dont les murs étaient décorés de peintures, qui représentaient des légendes pastorales que me racontait ma mère ou mon père.

Jean-Jacques: Et donc tu les reprenais en dessin ?

Georgette : Oui, et une fois arrivée chez moi, il n’y avait pas de radio, pas de télé, je n’avais pas trop de livres, je reproduisais quelques motifs admirés lors de ces fêtes. J'adorais les mâts de cocagne où il y avait des trésors et des friandises à récupérer. Je dessinais et mon père jouait du violon. C'est l’image de mon enfance.

Jean-Jacques: Tes dessins étaient des choses que tu avais vues et c’est en rentrant que tu les dessinais. Tu n’utilisais pas des images qui existaient déjà.

Georgette : Non, j’avais quelques images dans des livres d’enfants autrichiens, je ne comprenais pas l’autrichien, je ne savais pas le lire. Mon imagination travaillait beaucoup sur ce que je voyais.

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Jean-Jacques: Tu utilisais des couleurs ?

Georgette : J’avais mes douze crayons de couleur et j’avais aussi une boîte de peinture à l’eau. C'était de jolis crayons qui arrivaient de France et je trouvais très belles ces boîtes de couleurs. C'était des pastilles : en imbibant d’eau le pinceau et en frottant ces pastilles j’avais des couleurs. Je faisais de la peinture à l’eau sur mes cahiers d’écolière, ce n’était pas des cahiers de dessin.

Jean-Jacques: Et tes parents, qu’est-ce qu’ils disaient de tes dessins ?

Georgette : Mon père m’encourageait et souvent il me disait “ peut-être seras-tu capable un jour de jouer du violon comme tu dessines.” Il m’apprenait le son des cordes du violon, il commençait à m’apprendre le solfège, et il me répétait toujours que la musique et la peinture avaient un rapport étroit. « Parce que “tu vois, tu mets des intensités dans tes couleurs et moi c’est sur mes cordes. » me disait il”

Jean-Jacques: Et toi tu étais sensible à la musique aussi ?

Georgette : Ah oui ! Au violon. Le violon est l’instrument de musique que j’adore entendre. C'est quand j’étais petite que mon oreille s’est faite au violon. Et dans ces fanfares, il y avait aussi l’harmonica, les trombones, et les tambours, l'accordéon aussi. Il m’arrive encore quelquefois d’entendre ces sons, par exemple il n’y a pas longtemps dans un mariage à la campagne. (Ce sont des sons de mon enfance). Ces musiques on les entendait surtout dans les Gasthof, les restaurants, le jour tombant assez tôt en hiver, vers 4 heures, il était de tradition de rentrer dans les Gasthof ou l’on pouvait déguster une pâtisserie, et là on écoutait aussi des harmonicas, et la cithare, un genre de guitare horizontale.

Jean-Jacques: Donc la première approche, étant jeune, c’est par le dessin, la peinture à l’eau, et plutôt l’aspect folklorique. Et ensuite comment ça a évolué ? Comment tu as progressé en peinture et en dessin ?

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Georgette : Après une période de l’âge de 6 ans à 10 / 11 ans, je me suis mise à peindre des paysages, jusque vers 14 ans. Des paysages de montagne. Nos promenades, se faisaient toujours dans des villages, au bord des lacs, et dans les fêtes qui étaient très nombreuses.

Jean-Jacques: Ensuite tu es venue en France ?

Georgette : Après mon enfance, mon père étant malade, nous sommes rentrés en France. Cela correspondait aussi à la fin de son séjour au Tyrol. Après le décès de mon père peu de temps après notre retour en France j'ai terminé mes études secondaires en pension, à Toulouse. Ma mère avait trois enfants, elle n’avait pas de problèmes financiers mais elle était restée une femme seule avec le souci d’éducation de ces trois enfants. Alors j’ai passé des concours administratifs. Je visais particulièrement un emploi qui me laisserait du temps libre. En travail de nuit, il y avait les services de santé, ou alors le service des transmissions dans l’armée.

Jean-Jacques: Pourquoi tu voulais du temps libre ?

Georgette : Parce que je voulais peindre, absolument. Mon rêve était d’être musicienne et puis peintre. Mais il fallait que je gagne ma vie. Musicienne ce n’était pas possible parce que je sentais que c’était trop tard. Alors j’ai passé divers concours, parmi les concours qui m’intéressaient j’ai choisi celui de la Défense nationale dans la spécialité transmissions. J'ai intégré l’École d’application des systèmes de transmission à Montargis, après cette École j’ai été affectée à Paris aux Invalides. Ce centre de transmission des Invalides était relié à tout le territoire français, d’outre-mer, et une partie de l’Europe. Connecté 24 heures sur 24, nous avions du temps libre après les services de nuit. Et mon temps libre je l’ai passé à chiner dans les galeries à Paris, je faisais mon shopping, je connaissais mon futur mari qui continuait ses études à l’université, et moi j’allais gagner ma vie à Paris avec toujours cette idée de pouvoir peindre.

Jean-Jacques: Alors comment ça s’est passé ?

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Georgette : Pendant mon temps libre je visitais les galeries, j’allais dans les musées aussi, mais j’étais moins attirée sauf par les Impressionnistes, la peinture classique des musées ne m’intéressait pas pour les reproduire. Je faisais en particulier la rue de Seine, puis le quartier de Notre-Dame, le Quartier latin, la place des Vosges. J'obtenais quelques affiches, je prenais des publicités, j’allais à Montmartre, j’achetais des cartes reproduction d’artistes, et je les reproduisais dans un studio que j’occupais boulevard de Port-Royal. Dans ce studio que je partageais avec une collègue, je peignais, je reproduisais beaucoup Vlaminck avec de la peinture à l’eau, à l’acrylique.

Jean-Jacques: Sur des toiles ?

Georgette : Non, sur du papier Canson, sur du format raisin. Comme je descendais tous les 15 jours sur Toulouse rejoindre mon fiancé, je distribuais tous ces dessins et ça me forçait à produire. L'intérêt que me portait mon entourage m’encourageait à poursuivre. Je me suis aussi inscrite à un centre culturel des Armées qui donnait des cours de dessin. Dans l’Armée, il y a des peintres officiels qui sont recrutés parmi les artistes locaux, certains venaient faire des conférences. Il y avait chaque année un concours de peinture organisé parmi les personnels de l’Armée de l’air. (Contrairement à une image qu’on se fait peut-être de l’Armée), il y a des artistes, des musiciens, des cavaliers, ces activités culturelles intéressaient le personnel qui se trouvait libre ou en retour de mission. Je suis allée là quelques mois, mais je préférais descendre régulièrement à Toulouse retrouver mon fiancé.

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Jean-Jacques: Ensuite, il y a eu sans doute un autre moment, celui des expositions. À un moment donné, tu as une production, tu la donnes, et tu as dû passer à un autre niveau où il fallait montrer ton travail.

Georgette : Je me suis mariée et à cette époque j’ai été affectée au Palais Niel à Toulouse. Quand j’ai su que j’allais m’installer assez longtemps dans la région, j’ai décidé de m’inscrire aux Beaux-Arts pour avoir une formation de dessin. J'avais 22 / 23 ans. Je n’avais pas encore assez d’expérience pour prétendre exposer. J'avais toujours du temps libre, le centre était connecté en permanence, jour et nuit. J'avais toujours deux ou trois jours de liberté par semaine. J'ai pu suivre des cours aux Beaux-Arts l’après-midi. Et j’ai eu l’idée de proposer à d’autres personnes d’avoir un atelier de peinture à nous parce que je ne pouvais suivre que les cours de dessin aux Beaux-Arts. Parmi elles, il y avait Madame Molina, qui est devenue sociétaire des Artistes Méridionaux, et une autre participante qui nous a dit qu’elle pouvait mettre à notre disposition un atelier, gratuitement, rue des Carmes. Elle était propriétaire d’un immeuble dont les greniers étaient libres. Nous avons monté un atelier de peinture avec le soutien de professeurs d'Arts Plastiques : Albert GUILLOU et Pierre DARQUES professeur aux Beaux-Arts de Toulouse, cet atelier a fonctionné plusieurs années, nous avons bien travaillé et progressé. C'est avec Albert Guillou que nous avons appris l’approche de la matière, à nous servir de la matière sur une peinture déjà réalisée. Ça nous a enlevé le côté un peu conventionnel de nos sujets. Il nous a incitées à nous inscrire à divers salons régionaux. On a commencé à avoir des distinctions, des prix et des ventes aussi.

Jean-Jacques: Ça devait évoluer un peu vers l’abstraction, ou vous restiez dans le figuratif ?

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Georgette : Oui, le côté figuratif disparaissait un peu, et pour moi un côté géométrique apparaissait. En travaillant cet aspect pictural, j’ai pu atteindre une certaine plénitude qui m’a permis d’exposer dans des salons.

Jean-Jacques: Tu apprends à utiliser les couleurs, à introduire la matière dans un tableau. Ensuite une autre dimension intervient, c’est l’idée, le sujet. Est-ce que vous aviez des sujets de prédilection ?

Georgette : On prenait les sujets au hasard. À l’époque, c’était des paysages, des personnages toujours dans la quiétude, l’harmonie.

Jean-Jacques: Par exemple là, on voit un vélo, une jeune fille et une fenêtre.

Georgette : Ça donne l’impression d’une envie de fuite.

Jean-Jacques: Mais le vélo n’existait pas, la jeune fille non plus. Tu pouvais te permettre de faire ça parce que tu avais appris le dessin aux Beaux-Arts.

Georgette : Oui, d’après un modèle.

Jean-Jacques: Mais là il n’y avait pas de modèle.

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Georgette : Ce modèle de personnage qui se met en appui, c’est une attitude que j’ai prise d’une photo. J'aime suggérer certaines attitudes qui peuvent révéler une émotion particulière. Ici c’est un désir d’évasion. J'ai une biographie importante, chaque fois que je vois une image ou un personnage qui m’interpelle, je prends et je l’ajoute dans une biographie. Je ne peux pas dessiner un vélo de mémoire, je le ferais trop maladroitement, J'ai une énorme biographie, de modèles, d'objets, de personnages en attitudes, d’enfants, d’émotions qui m'aident…

Jean-Jacques: Quand tu parles de “biographie”, c’est rassemblé dans des cahiers ?

Georgette : C’est dans des dossiers.

Jean-Jacques: Tu te constitues des dossiers avec des images ? Il y a longtemps que tu fais ça ?

Georgette : Il y a 40 ans. Je peux y trouver tout ce que je veux.

Jean-Jacques: Ces dossiers, tu les classes ?

Georgette : Je les classe et avant une peinture, je les consulte, je m’inspire et commence une œuvre sur la toile, après le dessin, je le décalque, parce que je vais tout perdre lorsque j’utiliserai les palettes de fer chargées de matière, la surcharge me fait perdre les détails ou contour du dessin initial. Et c'est avec mon calque que je les retrouve un peu. Ça me fait des superpositions qui sont quelquefois intéressantes. Et puis parfois ça gâche tout ou quelquefois, au fur et à mesure du hasard du geste, de la touche, on voit des choses intéressantes qui apparaissent.

Jean-Jacques: Tu composes ton tableau à partir d’images que tu as conservées et tu les associes.

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Georgette : Oui, par cet exemple, ce sont des scènes de campagne. C'est vraiment les scènes que l'on voit quand on va à la campagne devant une ferme. Ces femmes se reposent au soleil en bavardant après le travail, c’est le caractère de solides paysannes qui ont la mémoire de leur terre, qui discutent. Et là, c’est une photo que j’ai associée pour faire une conversation.

Jean-Jacques: Est-ce que ton idée, au départ, c’est de peindre une conversation de paysannes, de trouver les documents qui vont correspondre et que tu vas associer ?

Georgette : Oui. Par exemple, si je veux dessiner une scène paysanne, j’irai chercher des personnages de la terre que je vais pouvoir utiliser, et les décors sont des décors de ferme, des outils, de vieux pots, des casseroles récupérées en pots de fleurs qui parlent du passé agricole de notre génération. Mes arrière-grands-parents étaient des agriculteurs.

Jean-Jacques: C’est ce que tu montres dans tes premières expositions ?

Georgette : Oui, par exemple en 1982 j’ai eu pour ce tableau le diplôme d’honneur des artistes indépendants du Midi, le prix départemental du salon d’automne de Colomiers. Maintenant ce sujet ne conviendrait pas du tout. Je peins aussi en fonction du temps que l’on vit.

Jean-Jacques: De 1982 à aujourd’hui, ton travail a beaucoup évolué.

Georgette : Énormément. À force de visiter des galeries, des expositions, des ateliers de peintures, de regarder les œuvres des peintres contemporains. Je m’accroche aux courants artistiques du moment. Je ne peins pas pour mon passé, je peins toujours pour l’instant présent.

Jean-Jacques: Ça veut dire quand même que tu te documentes encore.

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Georgette : Toujours. Durant les voyages, dès que je me déplace avec mon mari au fil de ses conférences, je vais dans les librairies, les galeries, les musées, je feuillette les magazines et dès que je vois quelque chose qui m’intéresse je l’achète si je peux. Une fois chez moi, je garde les documents qui pourront me servir. Je vois les courants actuels, en Chine, les sujets de galeries chinoises ressemblent beaucoup à ceux d’Europe, je me rends compte que les courants artistiques sont comme les modes, les modes asiatiques ressemblent aux modes européennes.

Jean-Jacques: Ton intérêt pour les différents courants actuels, tu as envie de le partager ?

Georgette : Je le fais parce que je ressens toujours une émotion et je la transpose dans ma peinture, pour la partager avec ceux qui regardent mon tableau. J'ai l’impression que quelquefois ils se perdent dans tel ou tel détail et qu’ils partent dans leur propre imagination. Mais ce sont des gens comme moi, qui vivent l’instant présent, je peins des choses qui leur rappellent le moment présent, je n’aime pas rappeler le passé.

Jean-Jacques: Est-ce qu’il t’arrive de discuter avec des gens qui voient ta peinture, de voir quelle perception ils en ont ?

Georgette : Non pas souvent, c’est exposé en galerie et c’est le galeriste qui me dit l’impression ressentie par la personne qui l'achète. Ça peut être l’intimité qui ressort d’un personnage féminin, mais quelquefois la personne ne peut pas expliquer pourquoi ça lui a plu. Souvent je suis surprise par leur interprétation, je n’expose pas toujours les tableaux que je préfère.

Jean-Jacques: Tu as fait beaucoup de dessins, en parallèle avec la peinture. Quand avais-tu envie de faire un dessin, quand avais-tu envie de passer à la peinture ?

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Georgette : Le dessin a occupé une petite période pendant laquelle j’en ai fait beaucoup. Je travaillais à l’époque au Palais Niel. Daniel Shintone, qui était professeur aux Beaux-Arts et peintre officiel des Armées, est venu plusieurs fois faire des conférences sur l’habit militaire à différentes époques. C'était magnifique à voir, les dessins étaient très précis sur colorés, appuyés de certaines touches vives. En parallèle il nous montrait des œuvres qu’il travaillait pour les exposer dans des galeries toulousaines. J'ai été frappée par la grâce de ses personnages féminins. Je me suis inspirée de ses profils de femmes pour travailler avec des dentelles. J'ai une collection de dentelles que j’ai récupérées un peu partout et j’ai travaillé ces dentelles pendant quelques mois sur des profils de femmes, des attitudes de femmes.

Jean-Jacques: Comment tu travaillais ces dentelles ?

Georgette : Les dentelles couvraient leur corps ou une partie de leur visage. C'était de la vraie dentelle que je bombais, ça donnait un effet que j’aimais beaucoup. Ensuite je travaillais les fonds par endroits. Mais je n’ai pas exposé ces dessins. J'avais l’intention de les colorer en peinture, et puis je suis passée à autre chose.
Ces dessins de mode, je les ai faits pour le mouvement, je ne faisais qu’une seule touche par geste, ça tombait bien ou pas. Il faut le faire d’un seul jet, sinon ça ne va pas. C'est le geste qu’il faut travailler.

Jean-Jacques: Pour la peinture, tu prépares tes pâtes ?

Georgette : Oui, le medium d’empâtement, je l’avais utilisé mais il ne me donnait pas l’effet de matière que je voulais et je suis arrivée à trouver une pâte particulière que je prépare moi-même.

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Jean-Jacques: Ce ne sont pas des peintures que tu achètes.

Georgette : oui, j’achète des peintures pour colorer ces pâtes. Une fois qu’elles sont colorées à ma façon et dans l’intensité que je veux, je les applique avec la spatule. J'applique d’abord les couleurs foncées et ensuite, pour faire arriver la lumière, je pars du foncé sur un autre aplat plus clair mais je travaille la limite des deux aplats à la spatule de fer. Je la travaille jusqu’à ce qu’elle sèche presque et une fois qu’elle est séchée je passe à la touche suivante encore plus claire de façon à trouver la lumière au moins dans le milieu de ma toile. Une fois que j’ai le fonds, je peux y ajouter des collages, des sables neutres qui prennent la teinte de mes pâtes si elles ne sont pas encore sèches. Ensuite j’y inclus des sujets que j’encadre de formes géométriques pour donner une modernité à mes tableaux.

Jean-Jacques: La pâte que tu utilises …

Georgette : … c’est une pâte spéciale qui retient l’humidité grâce à une poudre chimique. Je vais chez Gache Chimie et je prends ce qui m’intéresse. Tout ce qui est révélateur de couleur ça existe en chimie, mais la peinture c’est de la chimie !

Jean-Jacques: Tu utilises toujours la même pâte ?

Georgette : Oui, mais parfois je suis obligée de changer les proportions parce que j’ai l’impression que les formules changent. Ça ne rend pas toujours la même intensité.

Jean-Jacques: Il y a peut-être aussi une question de lumière.

Georgette : Oui, un jour comme aujourd’hui je peins, un jour de pluie je ne peins pas. Je gâcherais mes tableaux, je ne peins que quand il fait beau comme maintenant. Là je vois vraiment les couleurs qu’il me faut. Il me faut du soleil, je ne travaille pas au soleil, mais je travaille dans une pièce éclairée.

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Jean-Jacques: Ton atelier est orienté au nord ?

Georgette : Oui parce qu’il ne faut pas une lumière directe sinon les couleurs sont trop vives et ce n’est pas dans mon esprit pictural.

Jean-Jacques: Comment fais-tu le choix de tes couleurs ?

Georgette : Ce sont souvent des teintes qui ne sont pas très vives, des gris colorés, des ocres, des jaunes.

Jean-Jacques: J’ai vu aussi dans certaines de tes toiles qu’il y avait de l’or.

Georgette : Oui, j’ai toujours adoré l'effet de l’or. C'est lié à une période particulière. Il y a une trentaine d’années, j’avais vu des peintures où il y avait comme un plaquage d’or. Ce n’était pas fait avec un pinceau. J'avais posé la question plusieurs fois et un jour un peintre m’a dit que c’était de la dorure, des feuilles d’or qui se collent. Ça se fait chez des artisans qui rénovent de vieux encadrements, vielles pièces, meubles, ou bas-reliefs. Il m’avait indiqué l'adresse d'un artisan qui travaillait sur d'anciennes pièces au faubourg Bonnefoy,il avait un immense atelier et faisait de la rénovation de dorure. Je lui ai demandé s’il pouvait me montrer comment poser ces feuilles d'or. Il m’a montré, expliqué, appris et indiqué où acheter ces feuilles d’or et les peignes. Ces peignes en martre servent à manipuler les feuilles d'or. Je ne peux les prendre qu’avec les peignes en martre de la façon suivante : je les prends avec ces peignes, si je veux faire des choses géométriques, je les découpe. Et quand j’ai découpé suivant le modèle choisi, j'encolle la partie de toile ou je la placerai, je fais glisser ma feuille sur la partie, voilà le travail fait, j'observe l’effet produit, si c'est bon je garde si ce n’est pas à mon goût je recouvre de pâte. Je me sers de l'effet d'or pour rehausser l'effet pictural de l’œuvre.

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Le plaisir de l'emploi de ces feuilles d'or, correspondent à un souvenir émotionnel de l'enfance : le Toit d’Or d’Innsbruck que je voyais chaque semaine lorsque mes parents faisaient leurs courses, il était au fond de la rue « Maria-Theresen-Strasse », à sa vue je rêvais d’une princesse qui devait vivre là, très riche. Je pense qu'aujourd'hui, je traduis cette émotion par l 'emploi de feuilles d'or parfois excessive. Je corrige alors d’un coup de palette et tout disparaît.

Jean-Jacques: Il disparaît, c’est-à dire que tu le recouvres ?

Georgette : Oui, je le vois quand j’en colle trop…

Jean-Jacques: … donc sous ta peinture il y a de l’or …

Georgette : …quelquefois, là je l’ai fait disparaître parce qu’il y avait de l’or, de l’or, de l’or … et je l'ai fait disparaître en n’en laissant qu’une petite partie. Sur des parties de matières lisses la pose de feuille d'or rend un bon effet de lumière, sur les aspérités l’effet lumière est différent mais aussi intéressant et peut s'intégrer facilement à divers sujets de peinture

Jean-Jacques: L’utilisation de l’or est très difficile dans un tableau. La difficulté, c'est l'équilibre, ne pas en mettre trop, sinon çà abîme les couleurs.

Georgette : Mais avec la pâte, on ne voit plus rien. Si je le fais au pinceau, ça glisse dessus, c’est sale, ce n’est pas beau. Mais avec les pâtes je couvre tout. Peut-être qu’il reste un filament, mais ça peut être intéressant. L'utilisation de l'or dans mes peintures me vient des visions d'enfance : c'est le Toit d’Or, le folklore, la station de ski avec le funiculaire rouge et blanc qui monte aux stations de ski au-dessus d’Innsbruck, ou des reflets dorés recouvraient le haut des montagnes, C'est une image extraordinaire qu’on ressent quand on ne la voit plus, quand on est devenu adulte. Cette période m'a enrichie pour peindre. Je faisais du ski, avec mes parents, on montait avec ces petits trains de montagne et puis on mettait l’après-midi à descendre, il n’y avait pas de télésièges ça n’existait pas. Ensuite on allait aux fameux Gasthof où on mangeait des gâteaux. Le ski a ce moment-là était rustique skis en bois… il fallait voir les chaussures ! Moi j’avais des galoches souvent pleines de neige,

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Jean-Jacques: L’or est vraiment une réminiscence de ton passé. Dans tes peintures il y a souvent aussi des violons.

Georgette : C’est la musique de ma jeunesse et de mon père. Tous les deux on s’occupait, moi à dessiner sur mes cahiers, mon père à jouer du violon. Quelquefois il s’arrêtait, il essayait de me faire entendre un son, il me demandait quel était ce son, il me faisait faire un peu de solfège. Ç’a été mon regret de ne pas avoir eu le temps d’apprendre davantage le violon, mon père ayant disparu. prématurément

Jean-Jacques: On va revenir à l’époque où tu disais que tu avais des prix dans les salons. Ensuite tu es passée dans les galeries, tu en as fait en France, dans d’autres pays ?

Georgette : J’ai fait des salons en Allemagne, en Espagne, au Maroc. En Allemagne ça s’est fait lors d’un séjour de mon mari. Il a eu un prix important qui lui a été remis par l’ambassadeur de France à Bonn. On avait été invité dans le château où habitait cet ambassadeur, il y avait des peintures magnifiques. Pendant que mon mari expliquait ses travaux à des scientifiques allemands, je m’étais retirée et je regardais les tableaux dans diverses salles et une personne m’a abordée en me disant que le salon de réception était dans une autre direction, que je m’étais égarée. Je lui ai expliqué que j’étais une Française du sud, que j’admirais les tableaux de ce château et comme je n’aurais pas souvent l’occasion d'être invitée chez un ambassadeur je m’étais permis de regarder ces peintures, d’autant que j’étais peintre moi-même. Il m’a posé des questions, je lui ai dit que je faisais partie d’une société, les Artistes Méridionaux. Alors il est allé me présenter à l’attaché culturel qui a discuté avec moi et j’ai saisi l’occasion de lui demander s’il y avait la possibilité d’exposer la SAM à Bonn. Il a été tout à fait d’accord pour prendre contact avec les Artistes Méridionaux et s’occuper de ce projet. À cette époque j’en avais parlé aux Méridionaux mais ce projet demandait beaucoup de travail, une sélection de certains artistes sur une soixantaine de sociétaires. Il fallait aussi prévoir toute une organisation même si l’ambassade prenait tout en charge. Finalement ça ne s’est pas fait avec les Méridionaux, mais j’ai pu exposer avec la « Alexander von Humboldt-Stiftung Foundation, » une fondation prestigieuse en Allemagne dans un salon du quartier des ambassades. Et à cette occasion, un attaché culturel du Japon invité a cette exposition, m’a contactée parce que j’avais présenté ces silhouettes des femmes dont j’ai parlé toute à l’heure. Il les appelait “les Parisiennes” et m’a demandé d’en faire quelques-unes sur papier. J'ai fait une dizaine de dessins sur papier qui sont partis au Japon et qui ont eu du succès.

Majoral

Au Maroc, c’était dans un Riyad, j’avais imité un peu « Matisse », j’avais fait quatre ou cinq grandes peintures. Aux États-Unis j’ai fait cinq ou six toiles roulées pour un envoi au : Forum International de l’Art à San Francisco
Parmi les prix que j’ai eus, il y en a un que j’ai obtenu comme membre de Soroptimist international un club service équivalent du Rotary, du Lions club, mais féminin. En 1995, l’UNESCO avait proposé un sujet sur : « La Tolérance au quotidien » et demandait la conception d’une affiche. Mon sujet de peinture était : La terre entourée d 'un anneau nommé « intolérance ». J’avais fait exploser le “in-” par des astéroïdes humanisés. L’autre tableau représentait une fusée « l’intolérance » qui se dirigeait vers la Terre et explosait avant son arrivée. J'ai obtenu pour mon travail « La Mention d'honneur » remise par Le président du jury Jean-Michel Jarre, les membres du jury étaient les ambassadeurs du Brésil, de l’Inde, du Mali, de Turquie, et du sultanat d’Oman. C’est une Américaine qui a fondé en 1921 le club Soroptimist international, la première femme chirurgienne esthétique, la première à reconstruire de corps de femmes abimées. J'ai été active dans ce club une dizaine d’années. J'offrais des peintures qui étaient mises en tombola et le bénéfice allait à des jeunes filles dans le besoin, notamment « les resto bébés », on aidait ces jeunes filles délaissées avec parfois des bébés a charge en les aidant a trouver du travail. Dans ces clubs il y avait des chirurgiennes, d médecins, pharmaciennes, infirmières, juges, avocates, des membres du conseil général, moi j’y étais en tant que peintre. On s’occupait aussi des jeunes étudiantes étrangères, on leur proposait nos services pour que plus tard en contrepartie, elles montent des clubs services dans leur pays avec les compétences cadres dirigeants dans leur pays. Un club s’est monté au Maroc, a RABAT, a cette occasion j'ai offert un tableau lors de leur investiture. Je ne refuse pas les opportunités qui me permettent de continuer à travailler et progresser.

Majoral

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Entretien réalisé le 9/02/2022 à Ramonville

Majoral

Loin très loin là-bas
La neige bleue
Les fanfares écarlates
La stupeur de l’or
Au bout de la Maria-Theresien-Strasse
Tout est toujours là
À l’instant même

Peut-on entreprendre
De géométriser la douleur ?
Tracer de grandes lignes
Fissurer
Fracturer la toile
En éclats d’espaces
Et sauvegarder ensemble
Des parcellaires minutieux
          damiers cubes cadres boîtes cartes à jouer
Et des enclos de solitudes enfantines
          partitions fables fruits fleurs de notes

Géométrisation fractale
Fenêtre brisée d'un deuil

(une seule fois tout en bas
quelles sont ces ombres blanches
qui s’affairent dans un autre monde ?)

Loin très loin là-bas
Et à l’instant même
S'élève une cantilène silencieuse
La voix nue d'un violon

Violon ombre bleue en écho de lui-même
Violon brasier d’un feu très doux
Violon couché dans l’automne
Parmi les feuilles mortes
Violon de carnaval au côté d’Arlequin
Et as de cœur

Violon impossible
Tyrannique et consolateur
Violon sans violoniste
Sans archet
Musique claire des fins d’après-midi
Aux jours de neige bleue
À l’heure d’ouvrir le cahier d’écolière

Marc Nayfeld


      Le besoin de peindre est venu à Georgette Majoral pendant son enfance dans le Tyrol autrichien. Les hivers y étaient très longs, et la fillette n'avait à sa disposition que quelques livres. Mais des crayons de couleur, une boîte d'aquarelle et ses simples cahiers d'écolière étaient la grande ressource : elle dessinait près de son père, qui jouait du violon et l'encourageait en lui parlant des rapports étroits entre la musique et la peinture. Elle puisait ses sujets dans les fêtes estivales du Tyrol dont le folklore l'enchantait, avec ses costumes pittoresques, ses danses et fanfares, ses mâts de cocagne. Plus grande et toujours au Tyrol, elle est passée aux paysages de montagne avec leurs lacs.

      De retour en France, elle a terminé des études secondaires à Toulouse, et cherché une formation lui laissant du temps libre pour peindre. Le passage par l'Ecole d'Application des systèmes de transmission de Montargis (attaché à la Défense Nationale) lui a permis d'être affectée aux Invalides à Paris, où du temps libre était assuré après les services de nuit. Elle a alors commencé sa formation en fréquentant, de préférence aux musées, les galeries parisiennes de Montmartre. de la rue de Seine, de la place des Vosges etc... elle y découvrait la peinture moderne et contemporaine, et s'exerçait à reproduire des œuvres, notamment de Vlaminck. En parallèle elle suivait des cours de dessin dans un Centre culturel des Armées.

      Affectée professionnellement à Toulouse au Palais Niel, elle s'est inscrite pour 3 ans aux Beaux-Arts au cours du professeur Darques pour se perfectionner au dessin et à la peinture, dans le même temps avec deux autres amies élèves des beaux-arts , elle a créé un atelier de peinture au quartier des Carmes à Toulouse , avec le soutien d'Albert GUILLOU et de Pierre Darques, et y a découvert notamment l'approche de la matière. Les conférences et les œuvres de Daniel Schintone, notamment ses profils féminins, ont aussi exercé leur influence. Sa production ayant atteint une certaine plénitude, elle a commencé à exposer dans divers salons régionaux et à obtenir des distinctions. A partir de couleurs d'abord foncées, elle travaille progressivement sa pâte à la spatule, en touches de plus en plus lumineuses.

      Toujours résolument centrée sur les courants actuels qu'elle suit de près, Georgette Majoral a développé un style moins figuratif qu'à ses débuts, structuré par des éléments géométriques. Les souvenirs d'enfance ne sont pas absents de ses œuvres, ainsi de ce violon qui revient souvent, et de la feuille d'or, utilisée pendant une période, en souvenir du Toit d'or d'Innsbruck. Mais elle puise principalement dans une réserve d'images qu'elle a accumulées au fil du temps et qu'elle continue d'enrichir, pour composer des scènes à partir d'objets, de personnages, d'attitudes qui ont éveillé en elle une émotion. Elle prépare ses pâtes elle-même, à partir de poudres chimiques qu'elle colore avec des produits du commerce.
Le fond ainsi obtenu, elle ajoute volontiers des sables, des collages, et enfin les sujets, encadrés de tracés géométriques. Ses couleurs de prédilection sont des teintes atténuées, gris colorés, jaunes, ocres. Pour bien voir ces couleurs, et conformément à son registre serein, elle ne peint dans son atelier situé au Nord que quand il fait beau et clair.

      Selon les occasions, Georgette Majoral a exposé en Allemagne, en Espagne, au Maroc dans un Riyad, au Forum International de l'Art à San Francisco. Membre du club Soroptimist International, elle a obtenu en 1995 " la Mention d'honneur" remise par le président du jury Jean-Michel Jarre, pour des oeuvres traitant le sujet proposé par l'Unesco : "La Tolérance au quotidien".

      Au fil du temps et des expérimentations, la peinture de Georgette MAJORAL, sociétaire des Artistes Méridionaux, a développé et affirmé ses thèmes, ses coloris, ses harmonies propres, faits de calme et de clarté. De nombreuses récompenses attestent de cette maîtrise et témoignent de la très grande qualité de sa peinture.

Elisabeth Aragon
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