Photo de Toulouse
Le Salon 2015

Environné, dès le premier pas, de cornes, de griffes, de becs ou d’élytres, le visiteur ne peut ignorer que cette année les artistes ont cherché la petite… et la grosse bête. «Bestiaires» était en effet le thème. On pouvait bien entendu s’émanciper du dictionnaire, mais c’est un fait, les différents acceptions de ce mot ont été prises en compte.

On peut voir ici le «bestiaire» médiéval, ce recueil illustré de fables, de moralités, de textes divers sur les animaux. Il s’ouvre sur des gravures délicates ou des enluminures naïves.

«Bestiaire» désignant, au figuré, un ensemble d’animaux, beaucoup d’œuvres ont choisi d’être énumératives, ainsi les planches d’insectes et d’oiseaux, les séries de lapins, d’éléphants etc. L’accumulation est une règle : la liste de noms d’animaux se veut potentiellement exhaustive, comme la surface où fourmillent des silhouettes animales. On sépare ou on mélange les espèces en des agencements géométriques ou (apparemment) aléatoires. A remarquer : un ensemble inspiré de sculptures romanes témoigne de l’emploi spécialisé du mot «bestiaire» en art.

Enfin, quoique son nom soit peu connu, le «bestiaire» des Romains, ce gladiateur qui lutte contre les bêtes féroces, se montre en action dans ce Salon, ainsi que son confrère le toréro.

Une allusion aux dessins rupestres rappelle que, depuis les origines, l’humanité voue aux animaux une attention aigüe. Entre attirance et répulsion, fascination et crainte, cette curiosité pour l’animal dépeint l’observateur lui-même. Finalement, traiter les animaux revient à traiter de l’humain.

Les œuvres de cette exposition donnent d’abord à percevoir dans leur vérité concrète les êtres si étranges que sont, pour nous, les animaux les plus familiers. Certaines, picturales ou en volumes (les sculptures sont nombreuses cette année), restituent les formes vivantes et le mouvement de façon synthétique, épurée. D’autres obtiennent des effets de réel délectables : la photo en noir et blanc décrit avec minutie la laine du bovidé, la gravure suggère le moelleux d’une fourrure , la peinture donne à sentir la douceur tactile d’un pelage. Les formes élégantes et anguleuses des insectes, leurs couleurs précieuses suscitent des approches variées. Les artistes ont eu recours à beaucoup de techniques mixtes, voire inédites, à observer de près.

L’animal est aussi un puissant vecteur d’imaginaire. Une estampe travaillée peut conférer à la bestiole la moins séduisante un charme onirique. Un agencement de photos change les plumes d’oiseaux en objets célestes. Comme dans le passé médiéval, l’imagination des artistes enfante tout un bestiaire d’animaux fantasmés, plus improbables les uns que les autres. La nature elle-même donne souvent l’impulsion en offrant ses branches et trocs d’arbre, ses plantes étranges, ses organismes marins agglutinés sur de vieilles coques. La création d’un programme informatique, beaucoup moins naturel, peut aussi faire partie du processus. Des hybrides surgissent un peu partout, monstres forgés hardiment par l’artiste qui assemble à sa fantaisie des morceaux de corps d’espèces différentes. Certains atteignent des records de pluralité, comme l’humain-papillon-crapaud-escargot-serre-livres ou l’hydre d’un nouveau genre, hérissée de nombreuses têtes d’animaux hétéroclites. Ces créations poétiques peuvent être cocasses, émouvantes, féériques, oniriques.

Sur la planète terre, les animaux sont nos voisins, nos cousins, nos frères. Les œuvres explorent cette étroite parenté. Ainsi les pelages, peaux, plumages des animaux et les textiles des vêtements humains se mêlent plaisamment dans un vestiaire commun. Des bêtes exotiques s’insèrent dans un paysage familier comme de délirantes attractions pour enfants. Les héros de La Fontaine se voient narquoisement situés dans les mêmes lieux, et promis au même destin mortel que les humains. Autre point commun entre l’animal et l’homme : la sexualité bien sûr, ce sexe qui vit en nous comme un animal exigeant. Agression et antagonisme, dans l’arène du cirque ou de la corrida, ne sont que la version violente de ce lien qui unit les espèces humaines et animales.

A la limite, l’humain et l’animal ne font qu’un. Le minotaure et la sirène de la mythologie ne sont pas oubliés, mais on trouvera dans le Salon d’autres échantillons de ces êtres composites illustrant les affinités entre l’homme et la bête : le singe au faciès trop humain, l’humanoïde à tête de rhinocéros, de cerf, de vache, de corbeau… Sous la malice et l’ironie qui visent les faiblesses et les ridicules, la satire est leçon de sagesse. Projetant sur les animaux nos réflexions, nos représentations, nous en faisons des symboles.

Reste pourtant le mystère irréductible de l’animal. Qu’il soit loup dans le sous-bois, oiseau dans l’espace interstellaire, chat hermétiquement clos sur lui-même, papillon confondu avec les fleurs, l’animal est l’Autre : un être parfaitement accordé au monde, qui est entièrement lui-même, vivant un présent éternel, une pure plénitude. Ce mystère le rapproche du sacré. Hiératique, suprahumain, il maintient le lien de la vie avec les forces obscures de l’univers, en vigilante sentinelle. Dans certaines cultures, l’humain entre en communion avec l’animal pour se transcender et pour accéder à la vie cosmique.

De son côté, la mauvaise conscience contemporaine ne laisse pas de faire peser un malaise : on ne peut oublier l’extinction accélérée des espèces, provoquée par homo peut-être sapiens, mais surement égoïste et arrogant envers les autres êtres vivants. Hérisson, crapaud et autres victimes de la route, sanguinolentes et sans défense, animaux entassés, convertis d’avance en pièces de boucherie… Ces spectacles nous navrent ? C’est qu’un rêve opiniâtre persiste, celui d’une vie harmonieuse et réconciliée, où toutes les créatures, hommes et bêtes, coexisteraient fraternellement : le vieux rêve de l’Eden.

Elisabeth Aragon

  • Le prix de la SAM 2015 a été attribué à CARPeDIEM pour sa sculpture sur bois.
  • L'achat par les Beaux-Arts a été attribué à Nathalie GARCIA pour son aquarelle'
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Nathalie Garcia